L’incendie survenu le 15 avril dernier à la cathédrale Notre-Dame de Paris a bouleversé l’opinion publique, générant au même moment un raz-de-marée médiatique. Ce visage de Paris, défiguré, a déclenché une mobilisation générale suivie d’une véritable course au chronomètre pour sa reconstruction. Mais lorsqu’il s’agit d’un monument historique, même emblématique, la restauration n’est pas une entreprise si simple à mener, et encore moins dans un délai donné. Comme pour l’Histoire, la restauration s’écrit avec le temps.
A l’heure où les témoignages et les avis continuent d’affluer dans les médias et sur la toile, rencontre avec Sylvain Pasquier, co-gérant de Gecele Architecture, agence spécialisée dans la conservation et la réhabilitation de monuments historiques, pour quelques éclaircissements…
On entend parler de restauration, de réhabilitation. Y a-t-il une différence ?
Sylvain Pasquier :C’est en effet différent. Restaurer un monument répond à des normes bien précises et c’est le domaine de spécialistes. Restaurer, c’est restituer l’œuvre architecturale d’origine, son expression d’ensemble jusqu’aux détails apparents lorsqu’ils sont connus. La charte de Venise de 1964 impose qu’on restaure selon le dernier état : « complet, cohérent et connu ».
En revanche, réhabiliter un monument, c’est conserver son caractère et préserver son ADN en l’adaptant au confort contemporain.
Dans tous les cas, il faut différencier :
- Les monuments classés « Monuments Historiques » qui appartiennent à l’Etat, dont la totalité ou les parties classées doivent être restaurées à l’identique et qui sont du ressort de l’architecte en chef des Monuments Historiques chargé du bâtiment par l’Etat,
- Les monuments classés « Monuments Historiques » privés,
- Les monuments inscrits « Monuments Historiques » privés ou publics.
Ces deux derniers peuvent faire l’objet d’une mise en concurrence de maîtrise d’œuvre spécialisée (architectes en chef et architectes du Patrimoine).
L’ensemble de ces monuments peut être réhabilité pour le confort moderne, sur les parties non classées, et sous conditions validées par les services de l’Etat pour les parties classées.
Quelles sont les étapes avant de débuter les travaux de restauration ou de réhabilitation d’un monument historique ?
S. P. :Il faut déjà établir un diagnostic du bâtiment pour connaître précisément son état et établir un plan de restauration. Pour la maîtrise d’œuvre, MOE (l’architecte et BET spécialisés), la phase « études » comprend la description et les plans des travaux à entreprendre, les consolidations des causes des désordres, les améliorations à apporter…, et souvent un phasage dans le temps et un chiffrage.
Quand le projet est bouclé, la MOE produit un dossier de consultation des entreprises avec un cahier des charges des travaux. Elle reçoit ensuite les offres des entreprises, donne son analyse au maître d’ouvrage, qui en retient une par lot et peut alors lancer les travaux.
Dans le cas de la cathédrale Notre-Dame par exemple, la phase diagnostic devra être minutieuse et devra prendre le temps d’évaluer les dégâts dus au feu et à l’eau ; l’urgence étant de consolider et protéger l’édifice. Les choix de restauration ne pourront se faire qu’ultérieurement et serviront de base à la consultation pour choisir les entreprises spécialisées.
Comment choisissez-vous les artisans et les entreprises pour travailler sur les monuments historiques ? Est-il facile de trouver aujourd’hui les matériaux adaptés pour la restauration ?
S. P. :Les entreprises sont choisies au moment de l’appel d’offres.Elles doivent être spécialisées dans le cas d’un monument classé ou présenter des références équivalentes, et doivent démontrer leur expérience des monuments anciens dans les autres cas.
En ce qui concerne les matériaux, pour la pierre par exemple, il existe encore des carrières pour se fournir mais il arrive aussi qu’on utilise des carrières où les pierres ont les mêmes caractéristiques que les pierres d’origine. La règle appliquée, pour les matériaux qui ne sont pas d’origine, est qu’ils doivent comporter les mêmes caractéristiques et qu’ils doivent être compatibles ; ce afin de ne pas créer de barrières d’eau et/ou de détériorations entre des matériaux de dureté différentes ou incompatibles.
Restaurer un monument historique est-il compatible avec l’utilisation de technologies et matériaux modernes ?
S. P. :C’est en effet compatible avec les nouvelles technologies de construction. Le scan 3D est aujourd’hui très pratique pour donner les cotes, tout comme les systèmes d’élévation.
Pour l’église de Ronfeugerai, nous avons intégralement reconstruit la flèche (11 tonnes et 17m de haut) au sol, charpente et couverture compris. Puis nous avons utilisé une grue pour l’élever à 22m de haut.
La restauration permet l’usage de matériaux contemporains, lorsqu’ils ne sont pas visibles et qu’ils répondent à des normes modernes. Par exemple, à la suite d’un incendie à la cathédrale de Reims, la charpente de bois a été remplacée par une charpente de béton réalisée par l’architecte Henri-Louis Deneux. Pour les éléments visibles, il faut reprendre les matériaux d’origine ou équivalents.
Vous avez restauré et réhabilité une trentaine de bâtiments inscrits ou classés. Quelle a été pour vous la plus grande difficulté ?
S. P. :Une des principales difficultés est de répertorier les travaux à réaliser. Il faut établir un diagnostic et une étude historique, voire une étude de dendrochronologie.Pour cela, il est souhaitable de pouvoir obtenir du maître d’ouvrage une nacelle permettant d’accéder aux parties hautes de l’édifice, ainsi qu’une campagne de sondages pour les éléments non visibles afin de chiffrer au plus juste les travaux. Dans le cas d’un édifice élevé, on ne peut pas accéder partout, comme aux vitraux par exemple, si bien qu’on ne peut pas forcément connaître leur état.
Dans l’ensemble, on ne rencontre pas de difficultés majeures car la découverte du bâtiment au moment des études nous passionne et lors des travaux, nous travaillons avec des entreprises compétentes qui connaissent bien leur métier.
Pourquoi dit-on que les principaux risques, pour un monument historique, interviennent généralement pendant la phase des travaux ?
S. P. :Tout d’abord parce qu’on est obligés de monter des échafaudages à proximité du bâtimentvoire sur le bâtiment même. D’autre part parce que nous intervenons sur de l’existant, avec des parties en bon état à protéger et bien souvent en milieu occupé.
D‘autres risques peuvent concerner aussi :
– Les travaux de couverture, de soudure avec des projections d’étincelles qui peuvent atteindre un bois vieux, ou encore des reins de voûtes souvent remplis de longue date de débris de chantier,
– Les déplacements de blocs de pierre à monter ou à évacuer…
Même si on met en place des protections sur le bâtiment, il faut une vigilance permanente pour éviter les risques de casse ou de feu. Les mesures de prévention contre le feu doivent être impérativement respectées.
En tant qu’agence d’architecture du Patrimoine, si vous deviez collaborer à la restauration de Notre-Dame, privilégieriez-vous la restauration à l’identique ou le contemporain ?
S. P. :Nous privilégierions la conservation des marques de l’Histoire. Pour la restauration de l’église Saint André à Reims que nous avons terminé l’an dernier, il y avait des impacts de balles sur les pierres causés par la guerre, que nous avons choisi de garder. Chaque bâtiment a son histoire.
Dans le cas de Notre-Dame, nous avons à mon sens un devoir de respect de ses 850 ans d’histoire et du caractère sacré de l’édifice. Dans la mesure où il n’y a pas trace de la flèche qui précédait celle de Viollet le Duc, et où il est tout à fait possible de restaurer l’œuvre de cet architecte de renommée, une restitution à l’identique s’impose. Pourquoi devrait-on mépriser une époque d’architecture qui fait partie du patrimoine mondial de l’Unesco ? Seule la charpente pourrait faire l’objet d’une reconstruction avec un matériau moderne, sachant qu’une charpente du 13esiècle n’est pas remplaçable.
Eventuellement, pourrions-nous décider de tenir compte de l’incendie qui fait maintenant partie de l’histoire de l’édifice, en conservant son langage, c’est-à-dire la manière dont il a été construit etsa puissance symbolique. Dans cette idée, nous conserverions certainement l’ouverture dans le toit occasionnée par le feu afin de créer une nouvelle arrivée de lumière, entourée des statues de cuivre, par exemple…
La restauration de la cathédrale Notre-Dame peut-elle faire l’objet d’un concours d’architecture ?
S. P. :Cela parait difficile. Pour un monument classé appartenant à l’Etat, le décret du 28 septembre 2007 indique : « Le statut des architectes en chef des monuments historiques prévoit l’existence d’un recours obligatoire à leur maîtrise d’œuvre pour les travaux de restauration portant sur un édifice classé appartenant à l’État, tant pour l’élaboration des projets ou des devis que pour la direction de l’exécution des travaux. » Cela impliquerait alors que l’Etat modifie la loi actuelle.
Restaurer Notre-Dame en 5 ans, c’est possible ?
S.P. :La cathédrale Notre-Dame pourra être consolidée et restaurée en grande partie, mais seule le diagnostic en cours permettra de connaître les délais exacts. Maintenant les financements sont là, ce qui peut permettre cet exploit. »